
La précarité en matière de propriété immobilière constitue une réalité juridique complexe qui met en tension droits fondamentaux et protection de la propriété. Face à l’occupation sans droit ni titre d’un bien immobilier, le système juridique français offre divers mécanismes permettant au propriétaire légitime de recouvrer la jouissance de son bien. Cette problématique, loin d’être marginale, soulève des questions fondamentales touchant au droit au logement, à la propriété privée et à l’exécution des décisions de justice. L’éviction du propriétaire précaire s’inscrit dans un cadre légal strict, encadré par des procédures spécifiques et soumis à l’interprétation jurisprudentielle évolutive.
La notion de propriétaire précaire : définition et cadre juridique
Le concept de propriétaire précaire renvoie à une situation paradoxale en droit français. Il désigne une personne qui occupe un bien immobilier sans disposer d’un titre de propriété valable ou d’un droit d’occupation opposable. Cette notion s’inscrit au carrefour du droit civil et du droit des biens, tout en soulevant des questions relevant du droit au logement.
Dans la terminologie juridique, le propriétaire précaire n’est pas véritablement propriétaire au sens de l’article 544 du Code civil qui définit la propriété comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ». La précarité découle précisément de l’absence de ce droit absolu, remplacé par une simple possession de fait, sans fondement juridique solide.
Cette précarité peut résulter de diverses situations :
- L’occupation sans titre après l’expiration d’un bail ou d’une convention d’occupation
- Le squat d’un logement vacant
- La persistance dans les lieux malgré une décision d’expulsion
- L’occupation basée sur un titre vicié ou annulé
Le Code civil distingue clairement la possession de la propriété. Selon l’article 2255, « la possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom ». Le propriétaire précaire se trouve dans une situation de possession sans droit, ce qui le place dans une position juridiquement vulnérable.
La Cour de cassation a précisé dans plusieurs arrêts que la précarité de l’occupation empêche toute acquisition de droits sur le bien. Ainsi, dans un arrêt du 11 janvier 2017, la troisième chambre civile a rappelé que « l’occupation sans droit ni titre ne peut conférer au possesseur aucun droit sur l’immeuble occupé ». Cette jurisprudence constante renforce la position du propriétaire légitime face au propriétaire précaire.
Le cadre légal de la précarité est complété par la loi DALO (Droit Au Logement Opposable) du 5 mars 2007 et la loi ALUR du 24 mars 2014 qui, tout en renforçant le droit au logement, ont maintenu les prérogatives essentielles des propriétaires légitimes. La tension entre ces deux impératifs – protection du droit de propriété et droit au logement – constitue le cœur de la problématique de l’éviction du propriétaire précaire.
La précarité se caractérise juridiquement par l’absence d’animus domini, c’est-à-dire l’intention de se comporter comme propriétaire. Cette absence est déterminante car elle empêche toute prescription acquisitive au sens de l’article 2258 du Code civil. Le propriétaire précaire ne peut donc jamais, par le simple écoulement du temps, acquérir la propriété du bien qu’il occupe sans titre.
Les procédures judiciaires d’éviction : étapes et stratégies
L’éviction d’un propriétaire précaire nécessite le respect d’une procédure judiciaire rigoureuse, qui varie selon la nature de l’occupation et le statut du bien concerné. Cette démarche s’articule autour de plusieurs phases distinctes, chacune répondant à des exigences procédurales spécifiques.
La phase préalable : constat et mise en demeure
Avant d’entamer toute action judiciaire, le propriétaire légitime doit établir la preuve de l’occupation illégitime. Cette étape préliminaire peut prendre la forme d’un constat d’huissier détaillant les conditions d’occupation du bien. Ce document revêt une importance capitale car il constituera une pièce maîtresse du dossier judiciaire.
Une fois l’occupation sans droit ni titre établie, une mise en demeure peut être adressée à l’occupant. Bien que non obligatoire dans tous les cas, cette démarche présente l’avantage de formaliser la demande d’éviction et peut parfois conduire à une résolution amiable du conflit. La Cour de cassation a d’ailleurs souligné dans un arrêt du 17 décembre 2015 que cette étape, même facultative, peut être prise en compte par le juge dans son appréciation de la bonne foi des parties.
L’assignation et la procédure contentieuse
En l’absence de départ volontaire, le propriétaire doit initier une procédure contentieuse par le biais d’une assignation en référé ou au fond, selon l’urgence de la situation. L’assignation, délivrée par huissier de justice, doit respecter les formalités prescrites par le Code de procédure civile, notamment les mentions obligatoires prévues à l’article 56.
Le choix entre la procédure de référé (articles 808 et 809 du Code de procédure civile) et une procédure au fond dépend essentiellement de deux facteurs :
- Le caractère manifeste ou non de l’illicéité de l’occupation
- L’urgence de la situation
La procédure de référé présente l’avantage de la célérité, avec une décision rendue généralement dans un délai de quelques semaines à quelques mois. Toutefois, elle n’est applicable que lorsque l’occupation sans droit ni titre ne fait pas l’objet d’une contestation sérieuse. Dans le cas contraire, une procédure au fond devant le tribunal judiciaire s’impose.
Lors de l’audience, le demandeur devra démontrer :
- Son droit de propriété sur le bien (titre de propriété, attestation notariée)
- L’absence de droit d’occupation de la partie adverse
- Le préjudice subi du fait de cette occupation illicite
L’obtention et l’exécution du jugement d’expulsion
Si le tribunal reconnaît le caractère illicite de l’occupation, il prononcera l’expulsion de l’occupant sans droit ni titre. Le jugement d’expulsion constitue le titre exécutoire nécessaire à la mise en œuvre forcée de l’éviction. Toutefois, son exécution reste soumise à plusieurs contraintes légales.
En premier lieu, le jugement doit être signifié à la partie condamnée par huissier de justice. Cette signification marque le point de départ du délai de recours (appel ou opposition) et du délai d’exécution volontaire accordé à l’occupant.
En l’absence d’exécution spontanée, l’huissier devra délivrer un commandement de quitter les lieux, ouvrant un délai de deux mois avant toute mesure d’expulsion forcée. Ce délai peut être supprimé par le juge dans certaines circonstances, notamment en cas d’entrée par voie de fait dans le logement, conformément à l’article L.412-1 du Code des procédures civiles d’exécution.
La phase d’exécution forcée nécessite généralement le concours de la force publique, dont la réquisition est soumise à l’autorisation du préfet. Un refus de concours de la force publique ouvre droit à indemnisation pour le propriétaire, comme l’a confirmé le Conseil d’État dans une jurisprudence constante.
Les spécificités de l’éviction selon la nature de l’occupation
Les mécanismes d’éviction d’un propriétaire précaire varient considérablement selon la nature et les circonstances de l’occupation illicite. Le législateur et la jurisprudence ont développé des régimes distincts adaptés à chaque situation, créant ainsi un corpus juridique nuancé qui tient compte des particularités de chaque type d’occupation sans droit ni titre.
Le cas du squat : une procédure accélérée
Le squat, défini comme l’occupation sans droit ni titre d’un logement appartenant à autrui, fait l’objet d’un traitement juridique particulier, renforcé par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique. Cette loi a considérablement modifié l’article 38 de la loi du 5 mars 2007 relative au droit au logement opposable.
Désormais, lorsqu’un domicile est squatté, le propriétaire ou le locataire peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. Cette mise en demeure est exécutoire dans un délai de 24 heures, sans nécessiter de décision judiciaire préalable. Cette procédure administrative présente l’avantage d’une grande rapidité comparée à la voie judiciaire traditionnelle.
Le squat est par ailleurs réprimé pénalement par l’article 226-4 du Code pénal qui punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 22 janvier 2019 que la notion de domicile doit s’entendre non seulement de la résidence principale, mais aussi de la résidence secondaire ou occasionnelle.
Cette double approche, administrative et pénale, confère au propriétaire victime d’un squat des outils juridiques efficaces pour obtenir l’éviction rapide des occupants sans droit ni titre.
L’occupant maintenu après expiration du bail
La situation de l’ancien locataire qui se maintient dans les lieux après la résiliation ou l’expiration de son bail relève d’un régime juridique distinct. Dans ce cas, l’occupation était initialement légitime mais a perdu son fondement juridique.
La procédure d’éviction doit alors respecter les dispositions protectrices de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. Le propriétaire doit d’abord délivrer un congé valable respectant les conditions de forme et de délai prévues par la loi. En cas de maintien dans les lieux après l’expiration du délai de préavis, une procédure d’expulsion classique doit être engagée.
Cette procédure implique :
- La délivrance d’un commandement de quitter les lieux
- Le respect d’un délai de deux mois
- La saisine du juge des contentieux de la protection (anciennement juge d’instance)
- L’obtention d’une décision d’expulsion
- L’exécution forcée avec, si nécessaire, le concours de la force publique
Il convient de souligner que l’occupant maintenu dans les lieux après l’expiration de son bail peut se voir appliquer une indemnité d’occupation généralement fixée au montant du loyer antérieur, voire majorée comme l’a admis la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2014.
Le cas particulier des occupants sans titre de locaux commerciaux
L’éviction d’un occupant sans titre de locaux commerciaux obéit à des règles spécifiques, à la croisée du droit commun et du statut des baux commerciaux. La principale difficulté réside dans la distinction entre un occupant sans droit ni titre et un locataire bénéficiant de la protection du statut des baux commerciaux (articles L.145-1 et suivants du Code de commerce).
La jurisprudence a dégagé plusieurs critères permettant de qualifier l’occupation sans titre de locaux commerciaux, notamment l’absence de contrat écrit, le défaut de paiement régulier d’un loyer, ou encore l’absence d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés à l’adresse des locaux occupés.
Une fois établie la qualité d’occupant sans titre, la procédure d’éviction suit le schéma classique avec toutefois quelques particularités liées à la nature commerciale des lieux. Ainsi, le tribunal de commerce peut être compétent si l’occupation litigieuse présente un caractère commercial, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2017.
L’indemnité d’occupation due par l’occupant sans titre de locaux commerciaux peut être fixée à un montant supérieur à la valeur locative, afin de tenir compte du préjudice subi par le propriétaire, notamment en termes de perte de chance de conclure un nouveau bail commercial.
Les obstacles à l’éviction et les moyens de défense du propriétaire précaire
L’éviction d’un propriétaire précaire se heurte fréquemment à divers obstacles juridiques et pratiques. Ces difficultés résultent tant des stratégies de défense déployées par les occupants sans droit ni titre que des mécanismes de protection sociale instaurés par le législateur. Face à ces entraves, le propriétaire légitime doit élaborer une stratégie juridique adaptée pour préserver ses droits tout en respectant les garanties accordées aux occupants.
La trêve hivernale : un obstacle temporel majeur
Instituée par l’article L.412-6 du Code des procédures civiles d’exécution, la trêve hivernale constitue une période de suspension des expulsions locatives s’étendant du 1er novembre au 31 mars de l’année suivante. Durant cette période, aucune mesure d’expulsion ne peut être mise en œuvre, même en présence d’un titre exécutoire valable.
Cette protection temporelle connaît toutefois des exceptions notables :
- Lorsque l’expulsion est assortie d’un relogement correspondant aux besoins familiaux des occupants
- En cas d’occupation résultant d’une introduction par voie de fait dans le domicile d’autrui
- Lorsque l’immeuble a fait l’objet d’un arrêté de péril
La jurisprudence a progressivement précisé la portée de ces exceptions. Ainsi, dans un arrêt du 4 juillet 2019, la Cour de cassation a confirmé que la protection de la trêve hivernale ne s’applique pas aux squatteurs entrés par effraction, considérant que cette entrée constitue une voie de fait justifiant l’expulsion même durant la période hivernale.
Face à cet obstacle calendaire, le propriétaire légitime peut solliciter du juge qu’il constate expressément dans sa décision l’existence d’une voie de fait, afin de lever l’obstacle de la trêve hivernale à l’exécution de la mesure d’expulsion.
Les délais accordés par le juge et les recours dilatoires
Conformément à l’article L.412-3 du Code des procédures civiles d’exécution, le juge peut accorder des délais aux occupants menacés d’expulsion, en tenant compte de leur bonne foi et de leur situation personnelle. Ces délais, qui peuvent aller jusqu’à trois ans, sont souvent motivés par des considérations d’ordre social ou familial.
Par ailleurs, les occupants sans droit ni titre disposent de nombreuses voies de recours susceptibles de retarder l’exécution de la mesure d’expulsion :
- L’appel de la décision d’expulsion
- Le référé-suspension devant le juge administratif en cas de demande de concours de la force publique
- La saisine du juge de l’exécution pour obtenir des délais supplémentaires
- La saisine de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX)
Ces recours, même voués à l’échec sur le fond, peuvent considérablement allonger les délais d’exécution de la mesure d’expulsion. Le Conseil constitutionnel a néanmoins rappelé, dans sa décision n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018, que le droit au logement doit être concilié avec le droit de propriété, qui revêt un caractère fondamental.
Face à ces manœuvres dilatoires, le propriétaire légitime peut solliciter l’exécution provisoire de la décision d’expulsion ou demander en référé la fixation d’une astreinte pour inciter l’occupant à quitter volontairement les lieux.
L’invocation du droit au logement et l’état de nécessité
Les occupants sans droit ni titre invoquent fréquemment le droit au logement, reconnu comme objectif à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995, pour justifier leur maintien dans les lieux.
Cette argumentation peut être complétée par l’invocation de l’état de nécessité, notion issue du droit pénal qui permet d’écarter la responsabilité d’une personne ayant commis une infraction pour préserver un intérêt supérieur. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs reconnu, dans son arrêt Winterstein c. France du 17 octobre 2013, que l’expulsion d’occupants sans droit ni titre peut constituer une ingérence dans leur droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Face à ces arguments, le propriétaire légitime peut faire valoir que le droit au logement n’implique pas un droit à l’occupation sans titre de la propriété d’autrui. La Cour de cassation a d’ailleurs affirmé dans un arrêt du 4 juillet 2007 que « si le droit au logement est un objectif à valeur constitutionnelle, il ne saurait obliger un propriétaire à loger gratuitement un occupant sans droit ni titre ».
Par ailleurs, l’état de nécessité suppose une situation d’urgence absolue qui ne peut être résolue autrement que par l’atteinte au droit d’autrui. Le propriétaire peut donc démontrer l’existence d’alternatives, telles que les dispositifs d’hébergement d’urgence ou les demandes de logement social, pour contester l’invocation de l’état de nécessité.
Les conséquences pratiques et financières de l’éviction
L’éviction d’un propriétaire précaire engendre des répercussions significatives tant pour l’occupant expulsé que pour le propriétaire légitime. Ces conséquences, d’ordre pratique, financier et parfois psychologique, doivent être anticipées et gérées avec méthode pour limiter les préjudices subis par toutes les parties concernées.
Les indemnités d’occupation et la réparation des dommages
Le propriétaire légitime peut prétendre à diverses indemnisations pour compenser le préjudice subi du fait de l’occupation sans droit ni titre de son bien. La principale réparation prend la forme d’une indemnité d’occupation, dont le montant est généralement fixé par référence à la valeur locative du bien.
La jurisprudence admet que cette indemnité peut être majorée pour tenir compte du caractère illicite de l’occupation. Dans un arrêt du 12 juin 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi validé une majoration de 30% de l’indemnité d’occupation due par un occupant sans titre, considérant que cette majoration compensait le préjudice spécifique résultant de l’impossibilité pour le propriétaire de jouir librement de son bien.
Outre cette indemnité d’occupation, le propriétaire peut solliciter la réparation des dommages matériels causés au bien durant l’occupation illicite. Cette réparation nécessite :
- Un constat précis des dégradations (constat d’huissier, expertise)
- Une évaluation chiffrée du coût des réparations (devis, factures)
- La démonstration du lien de causalité entre l’occupation sans droit ni titre et les dommages constatés
Le recouvrement de ces sommes peut s’avérer problématique en pratique, les occupants sans droit ni titre étant souvent insolvables. Le propriétaire dispose néanmoins de voies d’exécution classiques (saisies, prélèvement sur salaire) pour tenter d’obtenir paiement des sommes dues.
Le sort des meubles et effets personnels de l’occupant évincé
L’expulsion d’un occupant sans droit ni titre soulève la question délicate du sort de ses meubles et effets personnels. L’article L.433-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que ces biens doivent être inventoriés par l’huissier de justice chargé de l’expulsion.
Plusieurs situations peuvent se présenter :
- Si les biens peuvent être transportés immédiatement, l’occupant est tenu de les retirer sur-le-champ
- À défaut, les biens sont transportés, aux frais de l’occupant, dans un lieu que celui-ci désigne
- En l’absence d’indication de l’occupant, les biens sont placés dans un lieu désigné par l’huissier, pour une durée maximale d’un mois
À l’expiration du délai d’un mois, les biens non réclamés sont réputés abandonnés, à l’exception des papiers et documents de nature personnelle qui doivent être conservés pendant deux ans par l’huissier. Les biens abandonnés peuvent alors être remis à une association caritative ou, à défaut, détruits.
Cette procédure, strictement encadrée, vise à protéger les droits de l’occupant évincé tout en permettant au propriétaire de récupérer la jouissance complète de son bien. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs rappelé, dans son arrêt Cosic c. Croatie du 15 janvier 2009, que les mesures d’expulsion doivent préserver la dignité des personnes concernées, notamment en assurant la protection de leurs effets personnels.
L’indemnisation du propriétaire en cas de refus du concours de la force publique
Lorsque l’huissier de justice se heurte à la résistance de l’occupant lors de l’exécution de la mesure d’expulsion, il peut solliciter le concours de la force publique auprès du préfet. Ce dernier dispose d’un délai de deux mois pour répondre à cette demande.
Le refus ou l’absence de réponse du préfet (équivalant à un refus implicite) engage la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L.153-1 du Code des procédures civiles d’exécution. Le propriétaire peut alors solliciter une indemnisation correspondant au préjudice direct causé par ce refus.
Cette indemnisation couvre généralement :
- La perte des loyers ou la valeur locative du bien pendant la période de refus
- Les frais de procédure engagés pour obtenir l’expulsion
- Les charges de copropriété ou taxes foncières supportées pendant cette période
La demande d’indemnisation doit être adressée au préfet par courrier recommandé avec accusé de réception. En cas de refus ou d’insuffisance de l’indemnisation proposée, le propriétaire peut saisir le tribunal administratif d’un recours en responsabilité contre l’État.
Le Conseil d’État a précisé les modalités de calcul de cette indemnisation dans plusieurs arrêts, notamment dans sa décision du 27 avril 2011, en indiquant que l’indemnité doit couvrir l’intégralité du préjudice direct causé par le refus, sans que des considérations d’ordre public puissent réduire le montant de cette indemnisation.
Perspectives d’évolution et recommandations pour les propriétaires
Le cadre juridique de l’éviction du propriétaire précaire connaît des évolutions significatives, reflétant les tensions entre protection du droit de propriété et considérations sociales liées au logement. Pour naviguer efficacement dans ce paysage juridique mouvant, les propriétaires doivent adopter des stratégies préventives et réactives adaptées aux spécificités de chaque situation.
Les évolutions législatives récentes et à venir
Les dernières années ont vu l’adoption de plusieurs textes législatifs modifiant substantiellement le régime juridique de l’éviction des occupants sans droit ni titre. La loi ELAN du 23 novembre 2018 a ainsi renforcé les sanctions contre les squatteurs en simplifiant les procédures d’expulsion, tandis que la loi du 7 décembre 2020 a institué une procédure administrative accélérée permettant l’éviction des squatteurs de résidences principales ou secondaires dans un délai de 72 heures.
Ces évolutions législatives traduisent une tendance au renforcement de la protection du droit de propriété, tout en maintenant certaines garanties en faveur des occupants vulnérables. Cette tendance pourrait se poursuivre avec l’examen de nouvelles propositions législatives visant à :
- Étendre le champ d’application de la procédure administrative d’expulsion
- Réduire les délais de la trêve hivernale pour certaines catégories d’occupants sans droit ni titre
- Renforcer les sanctions pénales applicables aux squatteurs et aux personnes facilitant l’occupation illicite
Parallèlement, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme continue d’influencer le droit interne en exigeant une proportionnalité des mesures d’expulsion au regard de la situation personnelle des occupants. Dans son arrêt Ivanova et Cherkezov c. Bulgarie du 21 avril 2016, la Cour a ainsi jugé qu’une mesure d’expulsion devait être précédée d’un examen de proportionnalité tenant compte de l’impact de cette mesure sur la vie privée et familiale des occupants.
Cette exigence de proportionnalité pourrait conduire les juridictions nationales à développer une approche plus nuancée de l’éviction, en tenant davantage compte des circonstances particulières de chaque espèce.
Stratégies préventives pour les propriétaires
Face au risque d’occupation sans droit ni titre, les propriétaires peuvent mettre en œuvre diverses mesures préventives visant à protéger leurs biens immobiliers :
- La sécurisation physique des locaux vacants (alarmes, portes blindées, surveillance)
- La visite régulière des biens inoccupés pour détecter rapidement toute intrusion
- La souscription d’assurances spécifiques couvrant les risques d’occupation illicite
- Le recours à des sociétés de gardiennage temporaire pour les biens vacants
Sur le plan juridique, plusieurs précautions peuvent être prises :
- L’établissement systématique de contrats écrits pour toute mise à disposition, même temporaire, d’un bien immobilier
- L’insertion de clauses pénales prévoyant des indemnités majorées en cas de maintien dans les lieux après l’expiration du titre d’occupation
- La conservation méthodique des titres de propriété et de tous documents attestant des droits sur le bien
La Cour de cassation a d’ailleurs reconnu la validité de ces clauses pénales dans un arrêt du 14 octobre 2015, sous réserve qu’elles ne revêtent pas un caractère manifestement excessif au sens de l’article 1231-5 du Code civil.
Gestion efficace d’une situation d’occupation illicite
Lorsqu’une occupation sans droit ni titre est constatée, le propriétaire doit réagir promptement et méthodiquement pour maximiser ses chances de récupérer rapidement son bien :
La première étape consiste à réunir tous les éléments de preuve nécessaires à l’action en justice :
- Faire établir un constat d’huissier détaillant les conditions d’occupation
- Rassembler les titres de propriété et tout document attestant des droits sur le bien
- Collecter des témoignages sur les circonstances de l’entrée dans les lieux
- Déposer une plainte pénale en cas d’effraction ou de violation de domicile
Le choix de la procédure la plus adaptée est déterminant :
- Procédure administrative accélérée en cas de squat d’un domicile
- Référé-expulsion pour les situations d’urgence ne souffrant pas de contestation sérieuse
- Action au fond pour les cas complexes nécessitant un débat approfondi
L’accompagnement par des professionnels spécialisés (avocats, huissiers) constitue un facteur clé de succès, ces derniers maîtrisant les subtilités procédurales et les stratégies les plus efficaces selon les circonstances particulières de chaque affaire.
Enfin, la négociation peut parfois constituer une alternative pertinente à la voie judiciaire, notamment lorsque l’occupant dispose de ressources suffisantes pour envisager une régularisation de sa situation ou un départ négocié. Cette approche amiable, encouragée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, peut permettre une résolution plus rapide et moins coûteuse du conflit.